le Maroc Et L'artisanat traditionnel Islamique dans l'architecture - 1981
André Paccard
Editions Atelier 1974 - 1981
Vol 1 & 2
Mamounia Marrakesch Maroc
André Paccard
Editions Atelier 74 -09/01/1987
plâtres ciselés... plâtres du passé ?
La sculpture du plâtre compte parmi les plus raffinés des arts décoratifs marocains. Sous le ciseau d’artisans héritiers d’une très ancienne tradition, naissent rosaces et calligraphies. Mosquées, palais, riads et médersas… les plus beaux édifices sont ornés de ces œuvres dont la grâce et la complexité forcent l’admiration. Le maâlem Houcine Lamane est l’un des maîtres de cet art millénaire.
L’homme est peu bavard. Il dit ne pas se souvenir, que tout ça fait partie du passé. Il faudra beaucoup de patience et de persuasion pour qu’il consente enfin et livre, par bribes seulement, un peu de son histoire.
Il n’avait que 6 ans quand son frère aîné, alors « gebbas », plâtrier – du mot « gebs » : le plâtre – a commencé à l’emmener avec lui sur certains chantiers. Le petit garçon observe sans un mot. à 11 ans, il dessine et cisèle ses premières rosaces qu’il vend en cachette.
A 13 ans, il participe à la restauration du palais royal de Rabat. Mohammed V est alors au pouvoir. Puis Hassan II lui succède peu de temps après. Le roi restera, pour Houcine, sa plus belle rencontre. « Il venait très souvent sur les chantiers, raconte-t-il, que ce soit dans les palais royaux ou à la Grande Mosquée.
Il connaissait tous les ouvriers et savait quel était celui qui travaillait pour l’argent, et celui qui était motivé par la passion. Cette époque est celle des grands chantiers. Il me plaît de l’appeler « l’ère de Hassan II le Bâtisseur ». Grâce à lui nous avons pu entretenir notre savoir-faire ». Et l’exporter.
Un très long apprentissage
Ces prouesses seront reconnues par le maître lui-même. André Paccard dédie tout un chapitre de son ouvrage de référence : « Le Maroc et l’artisanat traditionnel islamique dans l’architecture », publié en 1979, à Houcine Lamane et à son savoir-faire. Il écrit : « Le métier du gebs conserve plus que tout autre ses traditions.Un long apprentissage est nécessaire et chaque artisan se spécialise généralement dans un travail particulier. Jusqu’à la présente génération, les apprentis ou mataalems n’avaient même pas droit d’accès à l’échafaudage avant plusieurs années d’apprentissage. Le maâlem Lamane Houcine nous a fait remarquer que le renouveau apporté par le développement de cet artisanat a permis d’accélérer les traditions de formation. Accélération indispensable, car l’importance des commandes réclame de nouvelles mains habiles, et il est réconfortant de constater sur les échafaudages que, parmi les artisans, grand nombre d’entre eux n’ont pas encore atteint la vingtième année. » C’était il y a plus de trente ans, et depuis les choses ont bien changé…
Du plâtre ciselé au plâtre moulé...
Le plâtre ciselé était alors incontournable, que ce soit dans les mosquées, les palais ou les maisons d’habitation. Les murs en partie basse, étaient revêtus de zelliges, le haut, et bien souvent les plafonds, de plâtre finement ciselé. Cette époque semble révolue, avec l’apparition progressive du plâtre moulé. De grands panneaux sont coulés sur des moules repro-duisant des motifs traditionnels qui ne connaîtront jamais la lame du couteau qui auraient dû les sculpter. Cette reproduction froide et mécanique a un avantage indéniable : elle est quatre à cinq fois moins coûteuse que le plâtre sculpté, un plâtre qui aura mis de longs jours à sécher, laissant à l’artisan le temps de le façonner, voire de le retoucher des mois plus tard, simplement en le mouillant pour qu’il s’attendrisse.
Ces dernières années, l’engouement pour les riads a permis aux artisans du plâtre de mettre à profit tout leur savoir- faire. « Je porte un grand amour à la restauration et à la rénovation des riads. Ces demeures reflètent l’image d’un Maroc ancestral et unique, quand leur restauration respecte et préserve l’art et l’architecture anciens. Cela nécessite un grand savoir-faire qui, malheureusement, est ignoré par ceux qui se qualifient eux-mêmes de maâlems. De ce fait, des ouvriers non qualifiés détruisent les charmes des riads », déplore ainsi Houcine Lamane.
« Autrefois, continue-t-il, il fallait pour devenir maâlem être reconnu comme tel par d’autres maâlems. Des adouls vous donnaient alors officiellement ce titre. Aujourd’hui, on appelle maâlem n’importe quel patron alors que le terme signifie « maître ». La nuance est subtile mais elle fait toute la différence. » Maâlem Houcine sait de quoi il parle. Il a vu défiler plusieurs générations d’artisans plâtriers. « à la façon dont ils montent leur échafaudage et à celle dont ils font leurs réglages, je sais ce qu’ils valent, je sais si je peux ou non leur donner ma confiance. » Si l’homme n’est plus, quant à lui, grimpé sur un échafaudage depuis un certain temps, il n’en a pas pour autant abandonné son ciseau. Fidèle à sa passion, il continue à créer de nouveaux motifs. Ses croquis sur papier sont ensuite entrés sur ordinateur par sa fille. Son désir le plus fort serait de créer « la fleur inconnue, celle qui viendrait de l’avenir... ».
Une succession de défis
Les étapes de la sculpture
« D’abord le tgharbil : passer le plâtre au tamis (ghourbal). Cette opération tgharbil s’effectue loin de l’échafaudage. Ensuite, le plâtre débarrassé de ses impuretés est pétri dans l’eau : c’est la ajina. C’est donc le ajjan qui passe le plâtre pétri au terrah, celui qui est appelé à le poser à même le mur. Cette opération est moins simple qu’on ne le croit, car le maâlem terrah doit veiller à ne jamais laisser passer les grumeaux.
Le plâtre une fois étalé sur le mur ou sur tout autre partie à sculpter, arrive le ghabbar avec ses poncifs et sa « gousse » de poudre de couleur.
Le ghabbar ne dessine pas les motifs. Il les a reçus sur papier et ne fait que calquer le dessin sur le plâtre.
C’est à partir de ce moment qu’intervient le naqqach ou sculpteur qui réalisera l’œuvre, mais pas complètement, car c’est le khallaç ou finisseur qui apporte les retouches définitives. Celui-ci manie des outils très fins pour donner à l’œuvre toute la délicatesse qu’elle mérite. »
Extrait de l’ouvrage d’André Paccard, « Le Maroc et l’artisanat traditionnel islamique dans l’architecture », tome 2, les Editions Atelier 74.
Les règles de sculpture
Deux théories s’opposent quant à la façon de sculpter le plâtre.
Pour certains maâlems, la sculpture doit se faire en biais, se dirigeant vers le haut, afin de suivre la vision de l’œil d’un spectateur debout, situé au centre de la pièce. D’autres estiment que la sculpture doit se faire à la verticale du mur, presque en parallèle, estimant que la première option est une solution de facilité, car il est plus simple de creuser ainsi qu’à la verticale. Quoi qu’il en soit, ces deux techniques ont toujours existé et sont en éternelle confrontation.
Si la technique diffère, le principe reste le même : le plâtre, étalé en couches épaisses – de 3 centimètres jusqu’à, parfois, 18 centimètres, comme au palais royal de Fès – est sculpté sur plusieurs plans successifs – allant jusqu’à cinq – afin de donner vie aux motifs en les mettant en relief. Les figures et calligraphies peuvent soit garder la couleur naturelle du plâtre, soit être colorées. La polychromie domine à Marrakech et dans sa région – avec une préférence pour le rouge et le bleu – tandis que la dorure caractérise sa mise en oeuvre à Fez.
Texte : Aurore Chaffangeon
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