Des chants soufi couraient le long des mécaniques, des boulons , des vitres, des fauteuils de ce train qui nous menait à Oujda . Le chant de ces femmes parcouraient mon corps alors que Monsieur W, concentré sur son ordinateur, bouclait sa conférence pour le lendemain. On avait pris le temps de se rencontrer, de se comprendre. Il avait vu en moi une certaine sensibilité et m’avait proposé de le suivre à Mades pour le Miloud. Ma belle djellaba blanche et mon chapelet en bois. Les bagages en mains. Taxi blanc mercos. Vent frai. Soleil de plomb. A travers la vitre cradingue du tacos , une chaîne de collines aux mamelons verdoyants nous indiquaient la route. L’anglais était la langue d’usage à bord de ce vaisseau vers l’inconnu. Deux américaines du New Jersey faisaient la route avec nous. Je restais derrière cette vitre, collé, là comme un poisson à observer ce que la nuit nous offrait de lumière. Monsieur W m’invita à le suivre. Les escaliers de l’enceinte nous menait vers la foule. Abd Al Malik et Bilal était là. Le français était la langue qui dominait dans ce mélange de sons. Entre la Hadra, les Allah qui fusent et qui sortent du cœur de manière pulsionnelle, je me retrouvais à quitter mes chaussures et avancer vers une pièce où la masse se regroupait. La porte saturée, visage d’adultes excités. Monsieur W me fraye un passage jusqu’à la banquette de Sidi Hamza, la descendance du prophète Mahomet qui garde en lui ce que les soufis nomment le secret. Je me retrouve à genoux face à un homme dont je ne tiens pas le regard, mon corps est parcouru de frisson et d’une chaleur délicieuse, mon cœur bat à toute vitesse. L’homme assis dégage une énergie tellement forte que derrière ses petites lunettes j’ai l’impression qu’il me voit nu. J’aurais pu un moment me dire tu n’es pas à ta place, tu n’es pas musulman ou quoi que ce soit de ce genre mais j’avais été invité et ce que je découvrais à travers nos discussions était d’une réelle beauté, d’une richesse tellement profonde que ce petit voyage qu’on m’offrait entre l’infiniment grand et l’infiniment petit, entre le visible et l’invisible finissait par toucher mon cœur. Si je ne croyais pas au dieu du ciel ce dieu littéral avec son paradis trop froid et son enfer trop chaud, ce que je découvrais de dieu à travers cette discussion assis dans la pénombre de cette mosquée allait me marquer pour de bon et participait à l’apprentisage de ma vie à travers d’autres cultures, d’autres hommes, d’autres sensiblités . Le mythe de la caverne, le sens ultime de la beauté, une saveur personnelle, le face à face des cœurs. Après la prière de la nuit, je m’improvisais une couchette dans la salle. Le lendemain je décidais le temps de fumer une clope d’avoir une petite discussion avec moi-même. Qu’est-ce que j’avais tiré de tout ça? Ma discussion m’avait permis de choisir entre rester ou partir , ce trop plein d’amour et de sagesse déséquilibrait la balance de la vie à mes yeux. Les mots me semblaient clef, scandés. A mes yeux ce que j’avais découvert m’avait nourri mais je me sentais de plus en plus mal à l’aise face au groupe et je réalisais l’importance de la solitude et du lieu vierge, l‘importance de l'intime et le danger de la diffusion. Le poids du dogme me pesait aussi. Je repris la route de Fes en train. Je m’étais nourri de ce qui me semblait bon et décidais alors de le garder en moi. J’avais l’impression de prendre un train imaginaire et je me sentais plus riche, heureux d’avoir pris le temps de choisir. Je me rendais compte que la vie prenait du sens à partir du moment où l’on cessait de laisser glisser les choses sur soi, et à partir du moment où l’on s’autorisait des choix. S’il y avait une chose de sûr, c’est que j’étais bien dans ma peau et certainement parce que je prenais le temps de m’écouter. D’écouter mes besoins et de me nourrir des autres. Le lendemain à Clock je rencontrai Nadir, il vient à travers notre discussion mettre le point final sur mon expérience à Oujda. Nous parlons d’amour, des femmes, des hommes, de la France. Il me donne une petite leçon de vie de couple qui me laissa la bouche ouverte. Mais deux jours après cette discussion mes yeux se mirent à danser autour de cette jeune et belle demoiselle Meryem, la liste de ce que l’on avait en commun n'était pas très difficile à faire. Il nous avait suffi de trois jours pour nous rendre compte que l’on avait les mêmes goûts au point de ressentir en nous des vertiges énormes. Mêmes goûts, même intégrisme culturel, mêmes passions, rêveurs... Deux jours d’amitié profonde, et le troisième nos cœurs se mirent à danser comme des singes. Coup de soleil. C’était comme on aimait le dire un amour à forfait même si quand on le disait nos gorges se serraient et nos mains avec.
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