"Lorsqu'un seul homme rêve, ce n'est qu'un rêve. Mais si beaucoup d'hommes rêvent ensemble, c'est le début d'une nouvelle réalité." HUNDERTWASSER

mercredi 1 avril 2009

La PeTiTe BiLLe VeRtE



Rage.
Contrôle toi.
Rage.
Maîtrise toi.
Je ferme lentement la porte de Bouajara, et prends le temps dans cette ruelle vide de pousser ce cri sourd qui se transforme en boule acide.
Rage.
Je sens cette petite bille dans mes tripes, elle est épaisse. Ma gorge est nouée. Ma trachée rêche comme une pierre ponce et puis la mécanique rouillée devient soudain acide.
Sulfurique
Rage
Je ferme les yeux et je vois bercé par le rythme rapide de mon cœur à chaque battement. Cette classe et ce grand tableau noir insolent avec cette phrase du jour écrite à la craie blanche.
Cette peur soudaine de prendre la parole
Cette peur d’être
Rage
-Tu peux me faire la recharge?
- HeY Moulay qu’Est-ce que tu as, tu es malade?
-Non, désolé je ne suis pas malade. Tu y es pour rien.
Je respire profondément
A chaque inspiration ma boule s’étire et je reprends de ce souffle qui me manque pour de nouveau suffoquer.
J’entends alors sa voix, j’avais besoin d’entendre sa voix.
Je suis dans ce train.
La rage devient liquide
La boule devient fine, elle me gène maintenant comme ces petites granules d’homéopathie que je me coinçais parfois entre les amygdales.
Je suis dans ce train et Monsieur W est avec moi
-Meryem?
-Oui
-ça va pas
C’était pourtant pas grand-chose. Mais voilà que ce fleuve tranquille qui berçait ma vie dans cette médina m’avait ramené en l’espace de deux jours à la case départ.
J’étais une oie, et des enfants s’amusaient. Les dés avait été lancés. Une petite fille aux nattes serrées devait rager si près du but. Peut-être qu’à cet instant elle avait envie d’être autre. Peut-être qu’à cet instant, elle se disait que tout n’était pas joué.
J’étais alors cet homme qui court. J’avais le temps de cette rage oublié ce train. J’avais le temps de cette boule acide vu le train du cœur prendre le large.
Monsieur W était là et sur la tablette de ce petit compartiment première classe était inscrit au crayon « bonne chance ».
Je repassais mon bac, c’était l’heure du rattrapage. Mes jambes, mes pieds.
Mes pieds
J’étais maintenant là à courir, je sentais la sueur, les gouttes couler dans mon dos, je courais et je ne m’arrêtais plus, je rattrapais ce train. Je courais et la bille descendait sans même que je ne m’en rende compte.
Dans ma course mes pieds me lâchaient, mais le chemin poussiéreux était devenu eau et la tête la première je me retrouvais face à ce mur
SNACK à la bombe orange.

Un petit tour de clef
Respire
Une autre porte plongée dans le noir
Un autre tour de clef en sens inverse cette fois-ci

Je ressentais alors en moi exactement l’inverse, j’étais devenu l’inverse. J’étais devenu l’enfant que j’étais et qui lorsque quelque chose ne lui convenait pas le disait. Cet enfant bien plus adulte que je n’avais pu l’être.
J’avais dit ce que j’avais à dire avec calme
Et je n’avais rien obtenu
A part la satisfaction d’avoir pu parler, à part la satisfaction d’avoir enfin pu contrôler les battements de mon cœur lorsqu’une chose n’allait pas. J’avais à la fois contrôlé ma voix et mes glandes lacrymales. Je n’avais rien lâché et je n'avais rien eu en échange mais si cette expérience de vie que j‘attendais depuis ce grand tableau noir insolent valait 1500Dh alors ça me convenait parce que cette expérience m’avait permis d’être moi, calme mais exigeant . Notre conversation sur la somme qu’elle me devait pour la période où je serai à Malaga, s’était conclue par un soulagement au fond de moi.
Le lendemain, je vois Arab, il a l’air triste, j’apprends alors que le propriétaire du chantier veut que ça avance plus vite et ne souhaite plus de ma présence sur le Dar. En l’espace de deux jours. Je perds ma famille, mes amis, mon travail mais je me sens plus fort que jamais, une force bercée par une profonde mélancolie, une profonde tristesse mêlée de sourire et de c'est comme ça. En l’espace de quelques heures je réalise que je vais vivre avec une colonie de chats en chaleur et une femme fantastique Nadia , dès mon retour d’Espagne et que je pourrai alors le soir préparer mes petits plats avec les légumes que j’aurai achetés à Ursef parfois en compagnie de cette magnifique fille qui fait valser mon cœur. Je réalise aussi que j’ai mon premier chantier personnel, le tout premier de ma vie au Café Clock et que je vais animer un atelier plâtre et que je serai rémunéré avec mon petit déjeuner et mon repas de midi comme je l’ai voulu. La rage était restée dans ce fossé alors que pieds nus, j’avais quitté mes pompes pour plonger dans la vie. Au fond de mes chaussures, la petite bille verte était tombée. J’étais revenu sur mes pas, le train pour Oujda était en gare. Le temps de vider ma paire de pieds en cuir, les fesses posées au sol, j’écoutais au fond de moi cette musique silencieuse qui me guidait.

Un petit tour de clef
Respire
Une autre porte ensoleillée
Un autre tour de clef en sens inverse cette fois-ci

Sbâhlkhir
Labes
El-hemdou l-el-Lah

Je dis bonjour avec le sourire, je demanderai tout à l’heure si elle a trouvé une solution même si au fond de moi cette petite liasse de papier vert n’a plus beaucoup de valeur.
Au fond de moi, je les aime
Au fond de moi, je réalise que c’est aussi ça le Maroc, du beau et du laid
Mais que ça fait grandir
Des portes s’ouvrent, d’autres se referment
Le train repart, bondé d’hommes et de femmes aux lacets usés.
Cette fois, il partira sans moi
Il est en moi.


Aucun commentaire: